Le séjour des membres de la mission en Espagne

Sensibilisé par Pierre Paris, son ancien collègue de l’Université de Bordeaux, qui dirige le Comité international de propagande, Imbart de La Tour propose en novembre 1915 à Philippe Berthelot, secrétaire général du Quai d’Orsay, d’envoyer une mission intellectuelle en Espagne. Les enjeux politiques d’une telle mission sont évidents sans toutefois être affichés. Il est question de découvrir l’Espagne et de faire découvrir la France. L’Institut de France, jouissant d’un rayonnement incomparable, est tout désigné pour mener à bien cette mission, et d’ailleurs, accueille favorablement la démarche.

Dans un premier temps, Pierre Imbart de La Tour part le 17 février 1916 pour préparer la mission avec Pierre Paris. À son retour, il pense notamment à Étienne Lamy, Camille Saint-Saëns, Henri Bergson et Francis Charmes pour l’accompagner.

Pour des raisons de santé, Edmond Rostand et Francis Charmes ne viendront pas et seront remplacés par Edmond Perrier et Charles-Marie Widor.

Henri Bergson est très intéressé par l’idée de rencontrer les universitaires espagnols, comme il le confie à Lucien Poincaré. Il est aussi désireux de se rendre au plus vite en Espagne mais nous pouvons nous interroger sur le choix de cet académicien des sciences morales et politiques, très controversé en Espagne. En effet, les journaux conservateurs tels que « ABC » ou « El Debate » fustigent le philosophe avant son arrivée, le dépeignant comme étant l’emblème de la Révolution jacobine, de la Réforme, du Romantisme décadent (1).

Charles-Marie Widor, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, ne connaît pas l’Espagne, il doute même de l’utilité de cette mission mais le prestige de ses Confrères et l’insistance d’Imbart de La Tour emportent son adhésion (2).

Les membres de la mission arrivent le 27 avril 1916 à Irùn où l’accueil est plutôt bref. En effet, les Allemands surveillent étroitement cette visite, guettant « le faux-pas » des Espagnols, c’est-à-dire, l’engagement d’une intervention dans la guerre, même verbal, qui serait contraire à la neutralité. Il faut rappeler qu’un an auparavant, l’Italie avait quand même basculé du côté des Alliés.

La visite se poursuit par Saint-Sébastien puis Burgos où les missionnaires visitent notamment les collèges français et la fameuse cathédrale. Cet arrêt est l’occasion d’une rencontre avec les représentants des académies et les chefs des partis politiques, notamment les libéraux démocrates en la personne de Garcia Prieto, président du Sénat, et même les conservateurs menés par Antonio Maura. Les académiciens arrivent finalement à Madrid le 30 avril où ils sont reçus par le président du Conseil, le comte Romanones, francophile avéré. Pendant leur séjour, les académiciens se livrent donc à des visites, rencontrent les plus hauts dignitaires espagnols, sont invités à des réceptions mais surtout, ils donnent des conférences qui valorisent la culture française. Ainsi, Edmond Perrier, le 1er mai évoque le concept de races et de nations, Bergson excelle sur l’âme humaine et l’esprit de sacrifice tandis que Widor parle de la musique française.

Le 8 mai cependant, la mission reprend une allure tant politique que diplomatique quand les membres de la mission sont reçus par le roi Alphonse XIII. Étienne Lamy, libéré temporairement de ses obligations militaires, les rejoint et c’est donc au complet qu’ils profitent de cette audience royale. Bien que le roi fasse une allusion au Maroc, les membres de l’Institut ne la relèvent pas car ils estiment que ceci n’est pas de leur ressort mais on peut imaginer que la possibilité de céder Tanger à la zone espagnole sera discutée en haut lieu.

Charles-Marie Widor recentre le thème du séjour sur les échanges culturels franco-espagnols en proposant qu’une Maison soit construite, à l’instar de la Villa Médicis à Rome, pour recevoir les artistes français qui voudraient compléter leur formation en Espagne. Le roi y est très favorable et prononce ces mots,

« Si vos peintres, architectes, intellectuels viennent ici, les autres nations vous imiteront (…). Il faut que vous veniez chez nous, que vous y soyez un peu chez vous, je vais vous chercher un terrain, à vous de trouver les fonds pour bâtir. En attendant je désirerais vous voir organiser ici une exposition de bonne peinture française ».

La première base de ce qui sera la Casa Velasquez est posée.

Les membres de la mission sont reçus à nouveau par le Comte Romanones (ce qui lui vaudra une lettre de protestation allemande), puis continuent leur voyage en Andalousie du 8 au 17 mai où ils rencontrent notamment Monseigneur Baudrillart, lui aussi en mission. Ils visitent Séville, Grenade où ils visitent l’Alhambra avec son architecte, puis Cordoue et Salamanque sans Edmond Perrier et Henri Bergson, repartis pour Paris. Imbart de La Tour, Pierre Paris et leur secrétaire, Maurice Legendre seront seuls à se rendre à Oviedo le 22 mai avant de rentrer le 26 mai.