Préface de Gabriel de Broglie,
chancelier de l'Institut de France,
à l'ouvrage
Séances publiques annuelles des Cinq Académies. 1914-1919.

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Les membres de l’Institut sont par définition des hommes de leur siècle. Choisis par leurs confrères en raison de leur contribution éminente au perfectionnement des arts et des sciences, pour reprendre les termes fondateurs de la Constitution de l’An III (1795), ils ont vocation à expliquer leur époque comme à tracer, voire inventer un futur meilleur. Constituant le parlement du monde savant, les académiciens sont le reflet d’une société protéiforme, à l’image de la vocation de l’Institut « où tous les efforts de l’esprit humain sont comme liés en un faisceau » selon l’expression d’Ernest Renan de 1867.

Les académiciens de 1914, eux aussi ancrés dans le réel et proposant des pistes pour l’avenir, ont vécu le choc de l’entrée en guerre, puis de la guerre qui s’installe, comme tous les Français. Les rendez-vous immuables du travail et des séances des Académies se sont tenus alors que le fracas des armes et le mouvement des troupes ébranlaient l’Europe, puis le monde. Quelle place fallait-il accorder au désordre du monde, au bouleversement de tous les repères, à cette actualité dont les échos journaliers provoquaient autant de traumatismes en raison de leur démesure ? Chaque année, fin octobre, lors de la séance solennelle de rentrée, chacun y a répondu justement à sa mesure, à l’idée qu’il se faisait du rôle de délégué de son académie, en homme de lettres, des arts ou des sciences. Chaque discours que vous découvrirez dans ce recueil reflète une conscience. Ces orateurs ont choisi ou non de sortir de leur spécialité, d’élargir ou non le spectre de leur intervention savante. Chaque intervention a sa légitimité et illustre je crois une vision personnelle. Et c’est justement pour cela que ce recueil, mettant en perspective cette cérémonie sur cinq années, - des premières semaines du conflit en octobre 1914 aux débats de l’immédiat après-guerre en 1919, alors que l’avenir du monde se débattait à la Conférence de Paris, débouchant sur les traités de Versailles, de Saint-Germain-en-Laye et de Neuilly – est un témoignage unique sur le monde intellectuel français.

Les enseignements de ces discours sont pour certains faciles à tirer tant ils sont directs. D’autres sont plus complexes, tant les écrits reflètent la personnalité de l’auteur et de son parcours. Ces textes n’en forment pas moins un ensemble cohérent, miroir de leur temps.

La Coupole n’est bien sûr pas le seul lieu où se sont exprimés des membres de l’Institut. Certaines académies ont voté des motions à l’ouverture du conflit, certains auteurs ont prononcé des discours à l’extérieur. Et l’on retrouve dans l’oeuvre de nombre d’académiciens la trace de la Grande Guerre. Ils ont eu de cette façon en quelque sorte le privilège de rendre visible un témoignage, des travaux, des analyses, dont la bibliothèque de l’Institut garde la trace fidèle. Des millions de Français et de Françaises ont éprouvé cette guerre dans leur chair et dans leur vie, sans pouvoir, le plus souvent, exprimer la douleur, le choc, par des mots.

Les scientifiques ont raconté ou participé aux expérimentations nées de la guerre, les historiens ont tenté d’interroger la genèse des peuples et des conflits, les artistes ont prêté leur pinceau ou leur burin pour dessiner un monde finissant, les juristes, les économistes ont pesé au trébuchet les lois et les chiffres qui donnaient une autre vision du caractère hors norme du conflit. Je m’arrêterai simplement sur les écrivains. Comment ne pas évoquer ceux dont le talent aidé par l’Histoire a permis de retenir le nom : Maurice Genevoix (la série Ceux de 14, avec notamment Sous Verdun, Nuits de guerre, Au seuil des guitounes, La boue, Les Éparges, suivie cinquante ans après de La mort de près), Georges Duhamel (Civilisation), Romain Rolland (Au-dessus de la mêlée), Louis Madelin (La victoire de la Marne), Henri Bergson (La signification de la guerre de 14)... Dans La France et son armée, publié en 1938, Charles de Gaulle, futur protecteur de l’Académie française, évoque avec des passages d’une grande force le premier conflit mondial. Injustement moins connu, il faut lire le discours de Robert de Flers, de l’Académie française, du 25 octobre 1921, intitulé « la langue française et la guerre », prononcé en tant que délégué de l’Académie française lors de la séance publique annuelle des Cinq Académies. Il tente de discerner l’influence de la guerre sur notre langage, en puisant dans sa vie d’ancien combattant, dans l’incroyable - et ô combien périlleux - parcours qui fut le sien pendant la Grande Guerre, des tranchées françaises aux plaines russes, en passant par les Balkans. Il y dit aussi magnifiquement combien le français et la culture qu’il véhicule, combien la littérature et l’histoire de France sont un passeport universel entre les peuples épris d’absolu.

La place de l’Institut durant le premier conflit mondial ne peut se résumer à ses séances solennelles. Nombre d’initiatives virent le jour, que mon confrère Georges-Henri Soutou retrace dans son introduction.

On se gardera de prendre connaissance de ces textes par une lecture au futur antérieur, c’est-à-dire avec la connaissance des cataclysmes qui ont succédé à ce premier conflit inédit. Ce ne sont ni des chroniques au jour le jour, ni des exercices de prédiction. Ils témoignent simplement de la façon dont des hommes éclairés ont traversé et compris leur époque bouleversée.



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