Les Guerres d'insectes

par M. Louis Bouvier

Délégué de l'Académie des sciences

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Messieurs

Comme les livres, les mots ont leur destinée, et celle-ci peut être effroyablement tragique. Lorsque Charles Darwin formula son hypothèse de la sélection naturelle par la lutte pour l’existence, il était loin de soupçonner qu’un peuple barbare s’en servirait dans la suite pour justifier de monstrueux appétits. Le struggle for existence, disait-il, « est la conséquence inévitable de la rapidité avec laquelle tous les êtres vivants tendent à se multiplier » : au cours d’une carrière complète, chacun d’eux en procrée plusieurs, de sorte que sa descendance croîtrait en raison géométrique et finirait par tout envahir si un agent régulateur ne venait en limiter le nombre. Cet agent est le struggle for existence qui met chaque individu en « compétition » avec ses voisins. Comme les coureurs du stade, les êtres organisés poursuivent tous un même but ; mais ce but c’est la vie, ou du moins les moyens de vivre, et la part que s’attribuent les uns manque à la table des autres ; où ceux-là pourront subsister et s’accroître, ceux-ci n’auront qu’une existence précaire ou périront. La survivance est le lot du plus apte.

Cette lutte est inexorable comme toutes les lois de la nature, mais bien qu’elle fasse à chaque heure des victimes par milliers, on aurait tort de croire qu’elle suscite ordinairement des guerres et des batailles. Entre les plantes qui végètent sur un même sol et les carnassiers qui chassent les herbivores en un même lieu, la lutte ne diffère que par ses modes ; chaque individu cherche uniquement à se nourrir et emploie pour cela tous les moyens dont il dispose : la plante use de ses racines et de ses feuilles, le carnassier de ses griffes et de ses dents, mais dans l’un et l’autre cas, les compétiteurs se soucient peu de leur voisin et le laissent prospérer ou périr suivant qu’il est plus ou moins apte à la lutte.

Ainsi, le struggle for existence n’est pas autre chose que la concurrence vitale, et c’était bien la pensée de Darwin qui, presque toujours, le qualifie de « compétition » et une fois seulement le désigne par le nom de guerre (war). Darwin observe d’ailleurs qu’il « emploie le terme struggle for existence dans un sens large et métaphorique », applicable au végétal comme à l’animal, à l’œuf et aux jeunes comme à l’adulte, c’est-à-dire aux êtres les plus pacifiques aussi bien qu’aux plus violents. Mais il est des esprits qui savent donner à la métaphore le sens de leurs ambitions. Soumise aux gloses des théoriciens allemands, la formule du biologiste est devenue le Kampf für Dasein, le combat pour l’existence, ce que von Bernardi exprime en disant que « la guerre est la loi fondamentale de la nature » ; et l’on doit connaître aujourd’hui la signification qu’une intelligence teutonne attribue aux termes de combat et de guerre ! Ainsi déformée, la théorie de Darwin s’est répandue à travers l’Allemagne ; elle semblait justifier les instincts pervers de tout un peuple, elle leur servit d’aliment et nous a conduits au cataclysme actuel. Les mots aussi ont leur destin !

En réalité, la guerre, la vraie guerre, celle qui met en lutte violente des foules adverses, ne peut être qu’une exception dans la nature, car elle suppose une certaine solidarité entre les combattants de chaque parti, et l’on sait qu’un individualisme absolu règne en maître chez la plupart des êtres vivants. Chez la plupart, mais non chez tous ; beaucoup d’animaux, en effet, recherchent le voisinage de leurs semblables et forment avec eux des sociétés individualistes où chacun des membres travaille pour son propre bénéfice, voire même des sociétés plus parfaites où le travail de tous profite à chacun et celui de chacun à tous, des sociétés communistes.

Or, l’état de guerre apparaît sous la forme défensive dans les sociétés individualistes à instincts supérieurs, en particulier chez les Hyménoptères vulnérants qui établissent leurs terriers côte à côte : isolés ou en petits groupes, ces insectes souffrent assez bien qu’on les dérange, tandis qu’ils se précipitent en meute belliqueuse sur l’agresseur quand ils sont réunis en bourgade. J’en ai pu faire l’épreuve avec les Bembex chasseurs de mouches ; et l’entomologiste Friese rapporte qu’il subit une violente attaque pour avoir promené son filet sur les parois d’une grange où près de 10 000 Anthophores avaient creusé leurs gîtes. Ces sorties défensives sont la règle à peu générale dans les sociétés communistes d’insectes, surtout chez celles où les ouvriers possèdent un aiguillon venimeux. On sait combien les Guêpes sont tenaces dans leurs poursuites. Quoique adonnées aux fleurs, les Abeilles ne le cèdent en rien aux Guêpes ; si elles avaient conscience du sort qui les attend, on pourrait même les dire plus héroïques, car elles abandonnent leur aiguillon avec ses glandes aux flancs de la victime et périssent peu après de cette éviscération partielle : « Terribles en leur colère si on les offense, chantait Virgile, elles se vengent par des piqûres où elles répandent leur venin ; elles dardent un trait qui perce jusqu’au sang et laissent dans la plaie leur aiguillon avec leur vie. »

L’instinct guerrier des insectes communistes marche de pair avec leur évolution sociale : il se réduit à la seule défensive chez les Bourdons et les Guêpes, c’est-à-dire chez les espèces où les neutres se distinguent à peine des individus sexués ; il atteint au contraire son plus haut développement dans les colonies où les neutres sont très distincts des royautés reproductrices, ce qui est le cas des Termites, des Abeilles et des Fourmis. Alors, il n’est pas rare de voir les neutres se différencier en ouvriers et en soldats, les uns voués au travail et à la lutte, les autres à la défense de la colonie. Les soldats des Eutermes ou vrais Termites ont les mandibules plus faibles que les ouvriers et laissent à ceux-ci le principal rôle dans les batailles ; mais ils présentent en revanche une corne frontale à sécrétion visqueuse et utilisent cette arme pour la défense commune. Dans le Termite noir étudié par Bugnion, ils encadrent d’une double haie la longue file des ouvriers en campagne, et la tête tournée en dehors, engluent de leur sécrétion le malencontreux agresseur.

La ruche, que nous tenons pour un asile du travail pacifique, est en réalité le théâtre de conflits violents, plus nombreux et surtout mieux connus que ceux, des Termites. Lorsque par accident deux reines se trouvent dans la même ruche, elles se livrent un duel à mort, entourées par les ouvrières impassibles qui attendent la fin d’une des matrones pour accepter l’autre, car la république ne saurait subsister avec plusieurs pondeuses. Plus tard, quand les essaimages ont pris fin, c’est le massacre des mâles devenus inutiles. Alors, dit Maeterlinck, « le parfum amical du nectar a fait place à l’acre odeur du venin dont les mille gouttelettes scintillent au bout des aiguillons et propagent la rancune et la haine ». Dépourvus d’armes et accoutumés à la paresse, les malheureux sont incapables de se défendre contre la meute des ouvrières : les uns succombent sous les coups, les autres, bloqués dans un coin ou chassés de la ruche, périssent de misère, « et le souvenir de la race oisive s’éteint jusqu’au printemps suivant ».

Ce sont là des luttes intestines, nécessaires au développement normal de la société. Il n’en est plus de même lorsque la disette menaçante, jointe à un excès de population, pousse l’Abeille à convoiter le butin des ruches voisines. On est alors au printemps ou en automne, les fleurs sont rares et les ouvrières éclaireuses deviennent aisément pillardes. Ont-elles trouvé une ruche orpheline ou pénétré dans une ruche affaiblie, un émoi guerrier soulève brusquement leur peuple quand elles rentrent au domicile. L’attaque est décidée : en vols tumultueux se succèdent les troupes assaillantes ; elles cherchent à forcer la place et sont durement reçues par les assiégées ; c’est une lutte à mort et l’air se remplit de tourbillons furieux ; dans la rage qu’il suscite, le combat peut s’étendre aux colonies voisines et envahir tout un rucher. La place est-elle prise, « les vainqueurs, dit M. Bonnier, pillent et tuent sans mesure, emportant comme au hasard les provisions de miel…, massacrant les derniers défenseurs, allant chercher spécialement la reine pour la faire périr et mettant à mort même les abeilles non encore écloses... qu’elles ont extraites de leurs berceaux. C’est alors le spectacle le plus affreux que l’on puisse imaginer, la véritable terrorskrieg. »

Comme les Abeilles, les Fourmis d’une société se reconnaissent au tact et à l’odorat, traitent en adversaires les individus d’un autre nid et sont d’autant plus courageuses qu’elles se sentent soutenues par de plus nombreux camarades. Ainsi dotées par la nature, elles peuvent donner libre cours à leurs instincts belliqueux et ne s’en privent guère. Les sujets de conflit ne leur font pas défaut ; très jalouses de leur terrain d’exploitation, elles bataillent au moindre empiétement des sociétés voisines ; et bien que la plupart soient omnivores, on les voit entrer en lutte pour capturer les œufs, les larves et les nymphes des autres fourmilières, car elles goûtent particulièrement ce couvain très délicat. II n’est pas impossible que certaines des nymphes capturées achèvent leur maturation et éclosent avant de servir au festin ; alors, la société pillarde se trouvera en présence de jeunes qui, ayant la même odeur de nid que les siens propres, seront adoptés par elle et se livreront au travail. Tel serait, d’après Darwin, l’origine de l’esclavage chez les Fourmis ; et c’était bien aussi, semble-t-il, l’opinion de Pierre Huber qui découvrit ce curieux phénomène en 1810. Pourtant, on ne connaît pas d’espèce qui suive exactement cette méthode ; presque toujours, l’esclavagisme résulte d’une inaptitude des reines à fonder un nid, inaptitude qui les oblige à se faire admettre par une colonie étrangère, le plus souvent une colonie orpheline, où leurs jeunes sont élevés et se livrent ensuite au pillage d’autres colonies de la même espèce, ce qui suscite des batailles. On a coutume de désigner sous le nom d’esclaves les ouvrières issues du couvain capturé, mais ce sont en fait des auxiliaires qui travaillent librement et forment une colonie mixte avec leurs possesseurs. Ainsi déchargées de la besogne normale, les Fourmis à esclaves subissent des modifications profondes. La Fourmi sanguine n’est pas encore totalement dépendante de la Fourmi noir-cendrée et de la mineuse qui lui servent d’esclaves ; elle sait se nourrir, elle peut vivre seule quand elle forme des sociétés populeuses. L’Amazone capture les mêmes espèces et ne saurait s’en passer ; incapable de prendre nourriture, si ce n’est à leurs lèvres, elle a des mandibules en faucille et n’est plus bonne qu’au rapt ou au combat. La régression produite par l’esclavagisme est encore bien plus accentuée dans l’Anergates atratulus qui forme communauté avec les ouvrières de la Fourmi des gazons ; ayant des travailleuses à son usage, cette espèce n’en produit pas, de sorte que ses colonies se réduisent à une femelle obèse et à un certain nombre de mâles vermiformes, les uns et les autres presque dépourvus d’appareil buccal. Le maître a trop vécu aux dépens de ses conquêtes ; par une réaction qui n’est pas sans exemples dans l’histoire humaine, il est devenu l’esclave de ses esclaves.

Toutes les Fourmis ne sont pas également belliqueuses, quoique toutes possèdent des glandes à venin et des mandibules, parfois aussi un aiguillon ; et toutes ne font pas un égal usage de leurs armes. Quelle différence entre notre irascible Fourmi rouge, qui instille un venin cuisant avec son dard allongé, et les Messor ou moissonneuses, craintives quoique fortes, parce qu’elles sont armées d’un aiguillon très court. Entre les espèces non vulnérantes les différences ne sont pas moins accentuées : certaines utilisent leurs mandibules, les Camponotus pour donner des coups de dents, les Lasius pour saisir aux pattes leur adversaire, les Polyergus ou amazones pour lui perforer le crâne ; d’autres jouent du venin dans la mesure où le permet leur structure anatomique, les Formica ou vraies Fourmis sous la forme de jets en se cramponnant à un corps solide, les Tapinoma ou Fourmis rôdeuses en l’appliquant sur l’adversaire au moyen de leur abdomen qui peut se mouvoir en tout sens.

La tactique des Fourmis n’est pas moins variée que leurs armes. Les Lasius et la Fourmi des gazons excellent dans la guerre de barricades. Lorsque les Lasius sont assiégés dit Forel, ils ne cherchent pas à s’enfuir, « mais se cachent dans leurs souterrains, tout en les défendant à outrance, galerie par galerie… ; ils bouchent toutes les avenues avec des grains de terre que l’ennemi doit enlever pour avancer. » Cela tourne parfois au combat chronique, au combat tel que l’engage à tous moments la minuscule Solenopsis fugax qui établit ses fins tunnels dans les parois mêmes d’une autre fourmilière, et y trouve un refuge inviolable quand elle a ravi quelque butin à ses grandes voisines.

Les batailles rangées sont très fréquentes. Dans le cas le plus simple, elles consistent en une attaque de front, où les adversaires se disputent le terrain pied à pied. Huber décrit un combat de cette sorte entre deux colonies de Fourmis fauves : « Qu’on se représente, dit-il, une foule prodigieuse de ces insectes remplissant tout l’espace (100 pas) qui séparoit les deux fourmilières, et occupant une largeur de deux pieds ; les armées se rencontraient à moitié chemin de leur habitation respective... Le champ de bataille avait deux ou trois pieds carrés ; une odeur pénétrante s’exhaloit de toutes parts ; on voyoit nombre de fourmis mortes et couvertes de venin ; d’autres, composant des groupes et des chaînes, étoient accrochées par leurs jambes ou par leurs pinces, et se tiroient tour à tour en sens contraire. » Interrompu par l’obscurité, le combat reprit le lendemain et se termina d’ailleurs sans victoire, car des pluies vinrent en arrêter le cours.

Aussi forte, mais plus rusée, la Fourmi sanguine envoie au combat une succession de petites troupes qui cherchent les points faibles de l’adversaire pour tenter une attaque de queue ou de flanc. La Fourmi des prés ne supporte guère sans panique ces manœuvres latérales. Par contre, la noir-cendrée et la mineuse, celles-là même qui fourniront des esclaves aux sanguines, défendent âprement leur bien : il faut les voir tomber sur l’avant-garde hostile et garnir de défenseurs tous les orifices de leur nid ! Mais les sanguines ont reçu des renforts et entourent la fourmilière ; elles donnent l’assaut, pénètrent dans le dôme et en gardent toutes les ouvertures, établissant, dit Forel, une véritable douane qui permet aux fourmis de sortir seules, mais force à rentrer toutes celles qui portent des nymphes. » Aussitôt après, elles se mettent à la poursuite des fuyardes « afin de leur ravir encore les quelques nymphes qu’elles ont emportées », puis rentrent dans la cité conquise et en déménagent tranquillement le couvain : « C’est, dit Forel, une razzia aussi complète que possible. »

Les mêmes espèces répondent autrement à l’attaque des amazones : tandis que la noir-cendrée n’oppose qu’une faible résistance, la mineuse couvre son dôme de combattants qui luttent avec la perforeuse de crânes dans une mêlée indescriptible ; bien plus, quand l’armée des amazones retourne au gîte avec son lot de couvain, les mineuses enhardies se mettent à sa poursuite et engagent avec elle un nouveau combat pour lui ravir sa précieuse charge. Le sol se couvre de nouvelles victimes. Et dans ces batailles comme dans toutes les guerres de Fourmis, on voit la petite Tapinome erratique courir çà et là pour s’emparer des cadavres ou achever les mourants : ces armées ont leurs détrousseurs, comme en ont, hélas ! les phalanges humaines ; et jusque dans ce détail paraît justifiée l’observation de Pierre Huber : « Ce n’est qu’à nos guerres qu’on peut comparer celles des fourmis. »

Comment expliquer cette étrange ressemblance ? Sans doute la guerre est le résultat des habitudes sociales, sans doute aussi elle est une manifestation du struggle for existence, mais par quelles voies ces causes, identiques dans les deux cas, ont-elles pu conduire aux mêmes effets ? La souche commune des Arthropodes et des Vertébrés paraît bien trop lointaine pour qu’il soit question de liens héréditaires entre ces rameaux divergents, et il nous faut invoquer le psychisme propre à chacun des deux groupes guerroyeurs. Or l’évolution psychique de l’animal procède par de faibles avances intellectuelles qui se fixent très vite en automatismes héréditaires, celle de l’homme par un jeu continu de l’intelligence, par une forte puissance d’invention qui relègue à l’arrière-plan les effets de l’hérédité. « Chez l’animal, dit M. Bergson, l’invention n’est jamais qu’une variation sur le thème de la routine. Enfermé dans les habitudes de l’espèce, il arrive sans doute à les élargir par son initiative individuelle ; mais il n’échappe à l’automatisme que pour un instant, juste le temps de créer un automatisme nouveau ; les portes de sa prison se referment aussitôt ouvertes ; en tirant sur sa chaîne il ne réussit qu’à l’allonger. Avec l’homme la conscience brise la chaîne. » Ainsi les guerres d’insectes et les guerres humaines sont le résultat d’évolutions psychiques diamétralement différentes, mais elles proviennent des mêmes causes et c’est probablement par nécessité qu’elles ont pris la même forme.

Ne quittons pas Pierre Huber sans examiner la question qu’il posait, mélancolique, au cours de ses recherches sur les Fourmis : « Le fléau de guerre serait-il inséparable de l’état de société ? »

Étant donné que la guerre apparaît avec l’état social et qu’elle se développe avec lui, étant donné en outre qu’elle est une forme de la lutte pour l’existence, il y a lieu de croire qu’elle durera aussi longtemps que les sociétés d’animaux.

Mais on n’a pas le droit d’étendre cette conclusion aux sociétés humaines. Sans doute l’homme est un animal par sa structure organique, mais il déborde l’animalité par les puissances de son esprit, et si l’on ne peut douter qu’il subit, comme tous les êtres, les règles inflexibles de la lutte pour l’existence, il est non moins certain qu’il apporte dans cette lutte des éléments nouveaux, issus de sa propre spiritualité. Lorsque ces éléments sont la recherche et la défense d’un idéal de bonté, de justice, de liberté, ils constituent des forces puissantes qui s’ajoutent à la force matérielle pour assurer le triomphe du droit. Et puisque dans la lutte pour l’existence, le succès appartient au plus apte, c’est-à-dire à celui qui met en jeu le plus de forces, il apparaît que les puissances d’un haut idéal contribuent au triomphe dans les luttes humaines. En réalité, elles ne l’ont guère fait jusqu’ici, parce qu’elles étaient à l’état d’ébauche ; mais elles dominent dans le cataclysme qui bouleverse actuellement le monde, et chacun entrevoit déjà qu’elles y seront un des principaux facteurs de la victoire : de leur souffle puissant, elles décuplent les forces brutales pour assurer le triomphe du droit.

Un jour viendra-t-il où elles suffiront à fixer ce triomphe ? C’est possible, car les sociétés humaines sont en évolution perpétuelle comme les sociétés animales, et malgré le raffinement atroce de cette horrible guerre, il est visible que l’évolution morale, dans la majorité des peuples, s’effectue dans le sens de la justice. Mais il est plus visible encore que tous les peuples ne sont pas arrivés à ce stade et que, pour certains, la force brutale doit rester créatrice du droit. Si vraiment ces peuples sont capables de marcher vers un autre idéal, leur transformation sera tributaire du temps, car ils évolueront comme tous les êtres, soit par transformation lente, soit brusquement par mutation, et la mutation n’est que le déclenchement d’une longue évolution interne. Nos adversaires sont-ils près de toucher au point évolutif où la conscience refuse d’appuyer le droit sur autre chose que les forces morales ? C’est peu probable. Dès lors, en attendant que cette évolution se réalise, si elle est possible, il sera sage de ne pas oublier la devise romaine : Caveant consules, et de prêter aux forces morales le concours des forces matérielles pour assurer le maintien du droit.


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