Maître Aliboron.
Étude étymologique

par Antoine Thomas

Délégué de l'Académie des inscriptions et belles-lettres

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Messieurs

Dans la savante et ingénieuse Préface qui ouvre l’avant-dernière édition du Dictionnaire de l’Académie française, Villemain a écrit :

La science étymologique est, selon le caractère des recherches, ou une curiosité tantôt facile, tantôt paradoxale, ou une étude féconde, qui, d’un côté tient à la partie la plus obscure de l’histoire, de l’autre à l’analyse de l’esprit humain, à l’invention des langues, et à la perfection de la parole.

L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, au nom de laquelle j’ai l’honneur de parler ici, n’est portée ni à la recherche facile, ni au paradoxe. L’étymologie n’est cultivée parmi nous que comme une branche de l’histoire proprement dite, dont elle suit la méthode rigoureuse. Des textes, encore des textes, toujours des textes : telle est la condition nécessaire pour que cette branche cesse d’être un pur jeu d’esprit, comme elle l’était au temps de Ménage et comme elle l’est peut-être encore dans certains cénacles mondains.

Le véritable étymologiste doit faire œuvre de philologue, c’est-à-dire s’enquérir de tous les textes, les ordonner, les interroger, les faire parler clair sans pourtant leur donner la question, les écouter impartialement, et ne conclure qu’après avoir tout pesé. En présentant ses conclusions au public, il pourra jeter du lest, car c’est la valeur des témoignages, et non le nombre, qui importe. Mais plus il restera sur son lest, mieux cela vaudra : faute de cailloux, le Petit Poucet, quoique né malin, se serait probablement égaré.

Il pourra aussi recourir à l’induction, car sans induction la science humaine serait bien courte, et suppléer ainsi les documents qui lui manqueront, soit que le temps les ait à jamais détruits, soit que la poussière des archives et des bibliothèques les dérobe momentanément à sa connaissance.

Mais c’est assez parler à côté ; abordons de front la question proposée. Qu’est-ce que maître Aliboron ?

Le premier écolier venu répondra avec assurance, comme Littré : « C’est un âne. » Et peut-être, comme Littré l’a fait lui-même en tête de son article, citera-t-il La Fontaine :

Pour un Asne enleué deux voleurs se battoient...
Arrive un troisième larron
Qui saisit Maitre Aliboron (1).

Pourtant l’édition princeps du Dictionnaire de l’Académie françoise, publiée en 1694 et à laquelle La Fontaine a pu collaborer, puisqu’il n’est mort qu’en 1695, ne nous enseigne rien de pareil. Elle dit textuellement : « On appelle Maistre aliboron, un homme qui veut se mesler de tout, qui fait le connoisseur en tout (2) ». En 1762, cette définition s’allongea d’une courte proposition péjorative : « et qui ne se connoît en rien ». Ainsi allongée, elle continua de vivre pendant la Terreur, comme beaucoup d’autres choses en France, heureusement ; mais le règne de Louis-Philippe lui fut fatal. Depuis 1835, en effet, l’illustre Dictionnaire n’enregistre la locution qu’avec le sens d’ « homme ignorant, stupide, ridicule ». Cela à l’article Aliboron ; à l’article Maître, il ajoute, pour ménager la transition : « qui ne se connaît en rien ».

Recherchons d’abord si maître Aliboron a désigné primitivement un âne ou un homme ; nous verrons ensuite comment cette expression s’est formée et à quelles circonstances elle doit d’avoir pénétré dans le vocabulaire de notre langue.

Il est fâcheux que nous n’ayons plus la commodité d’interroger La Fontaine lui-même sur ce sujet. Le « bonhomme » avait l’abord facile ; il se serait prêté volontiers à ce que nos journalistes appellent, à la mode d’outre Manche, une interview. Nous en avons pour garant son contemporain Pierre Richelet, auteur d’un Dictionnaire françois qui n’a pas le ton grave de celui de l’Académie, mais dont la lecture n’est pas moins profitable pour être plus récréative. L’article Touselle de Richelet est savoureux, et il mérite d’être cité en entier, ou presque :

Touselle, sf. La touselle est une sorte d’herbe ou de plante, et c’est tout ce que j’en puis dire. On ne connoît point à Paris cette herbe. J’ai consulté plusieurs greniers ou grenetiers et plusieurs herboristes fameux ; ils m’ont tous dit qu’ils ne savoient ce que c’étoit que la touselle. Là-dessus j’ai vu le célèbre Monsieur de la Fontaine à qui, après les premiers compliments, j’ai dit : « Vous vous êtes servi du mot de touselle dans vos Contes (3) ; et qu’est-ce que touselle ? — Par Apollon, je n’en sai rien, m’a-t-il répondu, mais je croi que c’est une herbe qui vient en Touraine, car Messire François Rabelais, de qui j’ai emprunté ce mot (4), étoit, à ce que je pense, Tourangeau. »

Ce n’est pas seulement ce mot de touselle (5), mais aussi notre locution qui se trouve chez Rabelais ; La Fontaine était trop familier avec le livre de l’illustre Tourangeau pour l’ignorer. Panurge la décoche à Nazdecabre, le devin muet qu’il a consulté sur son avenir matrimonial, quand celui-ci lui répond par une mimique si violente qu’elle dégénère en voies de fait (6). D’âne il n’est pas question en l’occurrence.

Il est très probable que l’auteur des Fables s’est inspiré directement du Testament de Goulu, poème badin de Jean-François Sarasin, mort en 1654, où l’âne paraît, ne fût-ce qu’au figuré. On lit dans cette pièce :

Ma Sotane (7) est pour Maistre Aliboron,
Car la sotane a sot Asne appartient (8).

À qui en avait le facétieux poète et qui visait-il sous le nom de maître Aliboron ? On l’ignore : mais il est permis de croire que seul le plaisir de faire un jeu de mots avec sotane et sot asne lui suggéra l’idée de prendre le nom de l’innocent solipède pour doubler et incliner en mauvaise part la locution traditionnelle. Trouvant côte à côte chez Sarasin maître Aliboron et un âne, ce n’est pas l’âne que La Fontaine a volé — il en avait déjà un, qu’il tenait d’Ésope — c’est maître Aliboron. Alors, brouillant les cartes, il s’est diverti à coiffer son âne du titre de maître Aliboron. Depuis cette espièglerie de notre « grand enfant », âne et homme sont restés rivés l’un à l’autre, solidaires, voire interchangeables.

Semivirumque asinum semiasinumque virum,

aurait dit Ovide, s’il avait pu prévoir cette métamorphose. Et même, avouons-le, la claire conscience de cette dualité a disparu aujourd’hui : dans la raison sociale qui se transmet de génération en génération, le public ne connaît plus l’homme dont le nom y figure seul en titre, il ne voit que l’âne. On s’en aperçut bien à la salle Wagram quand, au cours d’une conférence qui eut beaucoup de retentissement, maître Aliboron fut cité à la barre par un de nos plus illustres confrères (9) : toute la salle se donna à cœur joie de crier haro sur le baudet. C’était avant le pacte d’union sacrée : il y a longtemps, très longtemps. Singulière fortune d’un méchant calembour, que d’en venir à troubler l’entendement de tout un peuple ! Ainsi se forme, ainsi plutôt se déforme le langage dans les pays trop cultivés, où l’esprit est à si bon marché que les hommes le donnent aux bêtes, sans souci du lendemain.

Mais laissons le XXe siècle poursuivre ses destinées, et remontons par delà le XVIIe.

Les écrits du XVIe siècle où l’on a signalé notre locution sont trop nombreux pour être étudiés ici en détail (10). D’ailleurs, dans la plupart d’entre eux, maître Aliboron ne figure que par allusion ou comme sobriquet.

C’est ainsi qu’on le trouve dans la Confession de Sancy d’Agrippa d’Aubigné (11) dans la Vie des hommes illustres et des grands capitaines françois de Brantôme (12), dans les Contes et discours d’Eutrapel de Noël du Fail (13), dans L’Esté, recueil de nouvelles de Benigne Poissenot (14), dans Les Esprits, comédie de Pierre Larivey (15), dans la farce de Maistre Mimin estudiant (16), et enfin, par delà Rabelais, dans le Modus de choreando bene, poème en latin macaronique d’Antoine Arène (17), et dans le Livre de la Deablerie d’Eloi d’Amerval (18). Nous ne le voyons réellement mis en scène que dans les Nouvelles des régions de la Lune, pamphlet anonyme imprimé en 1595 comme supplément de la Satyre Menippée et dont Cyrano de Bergerac s’est inspiré plus tard : là nous pouvons nous rendre compte que notre personnage est une création littéraire d’ancienne date, puisqu’il tient compagnie à deux autres « chercheurs de fortune » qui se nomment Roger Bontemps et le Franc-Archer de Bagnolet (19).

Il semble que nous assistions à cette création même en lisant un monologue anonyme, composé peu de temps après la bataille de Fornove (1495) et popularisé par l’imprimerie dans les premières années du XVIe siècle. Ce monologue, en vers, porte le titre suivant : Les Ditz de maistre Aliborum qui de tout se mesle et sçait faire tous mestiers, et de tout rien. Trois éditions gothiques, devenues très rares, en attestent le succès. Ce texte a été réimprimé deux fois au XIXe siècle, notamment en 1855 par mon très regretté maître Anatole de Montaiglon, qui y a joint une instructive préface (20). Les premiers vers suffisent à en donner une idée :

Je m’esbahis en moy tres grandement
Du grant engin et grant entendement,
Du grant sçavoir, fantasie et mémoire
Qui sont en moy, et m’esbahis comment
Ung seul engin peult faire seurement
Tant de choses comme je scay bien faire.

Un monologue beaucoup plus ancien, dont le cadre est le même, existe dans notre littérature en langue d’oc : il remonte au XIIIe siècle. L’homme qui sait faire tous métiers n’y porte pas de nom : comme c’est le nom, plus que la chose, qui nous intéresse, nous n’avons pas à nous y arrêter (21).

L’auteur de langue d’oïl, qui écrivait peu après la bataille de Fornove, a-t-il inventé ce nom énigmatique ? Il n’a assurément pas ce mérite. Maître Aliboron était une expression courante longtemps avant la fin du XVe siècle. Les preuves du fait abondent ; je ne citerai que les plus significatives et les moins connues.

Voici d’abord, en remontant l’ordre chronologique, deux documents d’archives, rigoureusement datés.

Le premier est une quittance, du 25 mai 1487, qui porte la signature autographe d’Antoine de Cugnac, seigneur de Dampierre, conseiller et maître d’hôtel de monseigneur le duc d’Orléans et de Milan. On y apprend que le futur roi Louis XII avait à son service, comme chirurgien, un maistre Aliborum en chair et en os, qui toucha soixante-quinze sous tournois pour avoir « pencé et habillé deux hommes d’armes prisonniers, lesquelz estoient bleciez » (22). Nous n’avons pas d’autre renseignement sur ce chirurgien, mais nous tenons pour assuré que c’est son sobriquet, plutôt que son nom véritable et légal, qui figure dans la quittance.

Si quelqu’un avait le moindre doute à ce sujet, le second document, dont je dois la communication à une étudiante en Sorbonne, Mlle Droz, l’en débarrasserait à coup sûr. Il est tiré d’un registre de la Chambre des comptes de René d’Anjou, roi sans royaume, mais prince magnifique, amateur épris de toutes les curiosités de la nature, de l’art et des belles-lettres, maniant la plume et le pinceau plus volontiers que l’épée. Deux lignes seulement, pour constater un paiement fait à Avignon, le 17 juin 1478, mais qui valent tout un long poème, celui dont j’ai cité le début tout à l’heure. En voici le texte :

À Pierre, le paintre, la somme de dix florins, pour avoir paint maistre Aliborum et tous ses houstilz (23).

De quel prix ne paierait-on pas aujourd’hui l’œuvre de ce primitif, peintre ordinaire du roi René, dont d’autres documents ont fait connaître le nom complet et la patrie, Pierre Garnier, d’Angers ! Mais gardons-nous d’éveiller la convoitise des collectionneurs ; nous risquerions de tenter quelque faussaire. Remarquons seulement le parfait accord de la peinture et de la poésie : qui sait faire tous métiers doit être peint avec tous ses outils. Pierre Garnier a dû beaucoup travailler pour gagner honnêtement ses dix florins.

D’ailleurs, un peintre n’était pas alors à court de modèles pour représenter maître Aliboron ; la littérature dramatique de l’époque en fait foi. Nous possédons une « moralité » où quatre personnages sont mis en scène : Chascun, Plusieurs, le Temps et le Monde. Dans une des scènes, le Temps prononce des paroles qui rappellent singulièrement le monologue cite ci-dessus :

Car mon sçavoir et ma pratique
Est sy très grant, ou je l’applique
J’en ay tout mon vouloir entier :
Aussy je suys de tout mestier,
Comment on voyt à mes outis.

Et devançant la pensée des spectateurs, Chascun en fait lui-même la remarque :

A la teste

Se bonnet ront, cornes, cornete,
Tant de papiers, c’est un grand nombre,
Tant d’engins, l’un droict, l’autre contre :
Te semble un maistre Aliborunt (24).

Ces vers nous apprennent, d’une part, que maître Aliboron montait à l’occasion sur les tréteaux, porteur d’un costume symbolique familier au public devant lequel se jouaient les « moralités », et, de l’autre, que les dramaturges ne se faisaient pas scrupule d’exploiter au gré de leur fantaisie la vogue de notre personnage et de son costume (25).

Sa physionomie morale est plus difficile à saisir.

Dans le mystère de la Passion, d’Arnoul Greban, représenté au plus tard en 1452, il apparaît fort inopinément. Lorsque, selon la tradition évangélique, les valets du bourreau ont mis un sceptre dans la main de Jésus et qu’ils l’ont couronné « de gros roseaux », l’un d’eux, Orillart, lui dit en goguenardant (26) :

Or menez feste,
Sire roy, maistre Aliborum !
Et son acolyte. Griffon, ajoute :
Hé ! ave, rex Judeorum !

Il est clair que, dans la pensée de ces misérables, maistre Aliborum est un titre très relevé, employé par dérision, comme celui de « roi des Juifs ». Le mystère de Sainte Geneviève, probablement contemporain de la Passion, nous fournit une preuve non moins assurée du prestige de ce titre. Écoutez la complainte de l’Aveugle :

Nul n’a cure de povre gent.
Se je fusse roi ou regent,
Ou un grant maistre Aliboron,
Chascun ostast son chaperon,
On m’inclinast, on me fist rage,
Je feusse tenu pour trop sage (27).

Pourtant tous les écrivains de l’époque ne s’inclinent pas devant cette royauté. Un auteur un peu oublié de nos jours, que Gaston Paris considère comme un des trois poètes les plus remarquables du XVe siècle et qu’il place à côté de Charles d’Orléans et de François Villon, en lui sacrifiant Alain Chartier lui-même, Martin Le Franc, dans son Champion des Dames, fait dire par l’Adversaire du sexe féminin à l’adresse de Franc-Vouloir, qui refuse de croire au pouvoir des sorciers :

Tu es bien maistre Aliborum
Si tu ne crois qu’il se puist faire ;
Le Secreta secretorum
D’Albert ne dit pas le contraire (28).

Pour Martin Le Franc, qui est un lettré, l’expression de maistre Aliborum désigne manifestement un ignorant. Il en est aux yeux de Pierre Michault, secrétaire de Charles le Téméraire. On peut s’en rendre compte par ce passage de son Doctrinal, ouvrage daté de 1466 :

II est advis à ces très vaillans hostes,
À maistre Pierre, à maistre Aliboron
Que ce soit d’eulx Tulles ou Aristotes,
El ils ne sont que ignorans ydiottes
Qui ne sceurent oncq entendre liçon (29).

Nous voilà fort embarrassés sur la valeur primitive de notre expression. Qui devons-nous croire en définitive, ceux qui l’élèvent ou ceux qui l’abaissent ? Le dernier texte que nous avons à citer, le plus ancien chronologiquement, n’est pas fait pour nous tirer d’embarras : c’est Satan lui-même qui en bénéficie, et, comme on sait, le diable est difficile à confesser. Le texte est extrait du procès de Giles de Rais, ce lamentable maréchal de France qui mourut sur le bûcher, à Nantes, le 26 octobre 1440. Au cours de l’instruction, exactement le 17 octobre, un témoin affirma avoir entendu dire à un prêtre nommé Eustache Blanchet, parlant d’un sorcier renommé, Francesco Prelati (30), que ledit Blanchet, par ordre du maréchal, était allé chercher en Italie et avait amené en Bretagne : « II fera venir maistre Aliborum ». Le procès-verbal, rédigé en latin, donne ces mots sous la forme française, et il les commente ensuite de façon à ne laisser aucun doute sur le sens de l’expression employée par messire Eustache Blanchet, au moins dans l’esprit du témoin, car il ajoute : intelligendo dyabolum per illud vocabulum Aliborum (31).

Là s’arrête notre documentation positive : aucun texte daté ne mentionne maître Aliboron avant 1440. Nous scruterons tout à l’heure les ténèbres des origines. Donnons d’abord la parole aux étymologistes.

Le plus ancien est Daniel Huet, évêque d’Avranches, auxiliaire de Bossuet pour l’éducation du Grand Dauphin. Ignorant tout de la question, Huet l’a résolue au pied levé en imaginant une anecdote dont les érudits sérieux s’égaient depuis plus de deux siècles. Je le cite textuellement : 

« Ce mot [il veut dire : « ce nom »] me semble avoir été donné par dérision à quelque advocat ignorant qui, lorsqu’on plaidait en latin, voulant dire qu’un homme n’est pas recevable à ses alibi, dit : Nulla habenda est ratio istorum aliborum, ou quelque chose de semblable (32). »

Ménage applaudit, et raffine encore la conception de son devancier :

« Monsieur l’abbé Huet, écrit-il, croit avec beaucoup d’apparance (sic) qu’aliborum en cette façon de parler est le génitif d'alibi, et que Maistre aliborum a été dit premièrement d’un homme fécond et subtil à trouver des alibi » (33).

Touchant accord ! Si Ménage avait beaucoup de vanité, pas une goutte de fiel n’entrait dans son âme. C’est bien à lui pourtant que l’évêque d’Avranches avait adressé, peu de temps auparavant, au sujet de leurs études communes, une lettre doctrinale, où les compliments ne servent qu’à dorer une pilule très amère :

Je vous l’ai dit souvent, Monsieur, et je vous le répète encore : si vous étiez moins habile étymologiste que vous n’êtes, vos étymologies seroient meilleures, vous seriez plus circonspect, et vous vous assujettiriez aux règles et aux principes. Mais comme vous possédez souverainement la matière, que vous savez parfaitement les permutations des lettres, et que vous avez de grandes lumières dans les langues originales, et dans celles qui ont quelque affinité avec la nôtre, vous vous mettez au-dessus des loix ; et votre confiance vous fait hazarder des paradoxes et des origines incroyables et insoutenables… De là sont venues ces étymologies monstrueuses, qui vous ont attiré tant de reproches… (34).

Huet connaissait bien l’Évangile, car il avait publié, dès 1679, une Demonstratio evangelica, mais il n’avait pas médité à fond cette parole de saint Matthieu :

« Comment dites-vous à votre frère : Laissez-moi tirer une paille de votre œil, vous qui avez une poutre dans le vôtre ? »

Au XVIIIe siècle, Le Duchat, commentateur de Rabelais, rattache le nom d’Aliboron à la même famille linguistique que celui d’Albert, et il croit retrouver dans notre personnage le célèbre Dominicain Albert le Grand, devenu populaire sous le nom de Grand Albert, grâce à des ouvrages de magie que d’impudents faussaires lui ont attribués (35).

L’étymologie continue à aller à l’aventure pendant le siècle que nous avons vu finir, malgré les progrès de la philologie.

En 1839, un égyptologue obscur, Camille Duteil, qui accusait Champollion

« de n’avoir rien compris aux hiéroglyphes et de ne pas même avoir eu la connaissance exacte et complète d’un symbole » (36),

enseignait à ses lecteurs que l’âne était le symbole de la divinité dans les sanctuaires de Thèbes et de Jérusalem, qu’il portait le nom d’alhiboroun, décomposable en al « grand », hi « dieu », bor « souffle » et oun « principe », donc signifiant : « dieu grand principe de vie », et que de là venait le maître Aliboron de La Fontaine (37).

L’année suivante, un immigré allemand, G. A. L. Henschel, que la librairie Didot chargea, on ne sait pourquoi, de diriger une réimpression du Glossarium de Du Cange, prétendit expliquer notre expression comme signifiant le « vieux », c’est-à-dire le diable, et il forgea, pour les besoins de la cause, un mot d’ancien-haut-allemand, altboran, qui n’a pas plus de réalité linguistique que l’âne symbolique de Camille Duteil.

En 1855, rééditant les Ditz de maistre Aliborum, Anatole de Montaiglon ne cache pas qu’il est assez difficile de rendre raison de ce nom. Il constate que les idées de Le Duchat et de Duteil ont peu d’approbateurs, et il attire l’attention sur la présence du mot aliboron, non accompagné du mot maître, dans une branche du Roman de Renart, où il semble désigner une plante (38).

« La plante aliboron ne seroit-elle pas une modification du latin elleborum ? »

Ainsi parle A. de Montaiglon ; puis sans s’arrêter à satisfaire la curiosité du lecteur, il poursuit sa course légère :

« Plus tard, on se sert du mot pour désigner un niais, un sot, un important... »

En 1863 commence à paraître le Dictionnaire de Littré. À l’article Aliboron, en tête de l’étymologie, on lit : « mot d’origine douteuse ». L’illustre philologue se contente de mentionner quelques-unes des hypothèses émises avant lui (39), notamment celle qui consiste à décomposer tout bonnement notre mot en ari « va » et bouron « baudet » et qui, depuis, a eu l’heur de plaire à l’illustre Frédéric Mistral, grand poète, mais étymologiste sans autorité. Littré la tient en suspicion, objectant qu’elle ne peut se concilier ni avec aliboron, nom de plante, ni avec le sens primitif, qu’il estime devoir être celui de « personnage de conséquence ».

En 1865, commentant Littré, l’Intermédiaire des chercheurs et des curieux déclare que la signification primitive est celle de « docteur » ou de « savant », et il pose la question suivante :

« Connaît-on quelque docteur de la scolastique dont le nom s’approche d’Aliboron, et assez célèbre pour être considéré comme le type de l’homme savant ? »

Deux chercheurs de marque répondent contradictoirement : Alfred Franklin soutient en quelques mots la candidature de Salomon-ben-Gabirol, Juif espagnol de Malaga, connu dans la scolastique sous le nom d’Avicébron ; Marcel Devic, que Littré semble avoir approuvé plus tard dans son Supplément, plaide longuement en faveur d’Al-Birouni, célèbre cosmographe arabe, originaire du Turkestan (40).

On ne se soucie plus aujourd’hui, et à bon droit, ni de l’une ni de l’autre de ces célébrités scolastiques ; c’est l’ellébore qui est en faveur. Et vraiment il semble qu’on était fondé à dire à l’étymologie :

Ma commère, il faut vous purger
Avec quatre grains d’ellébore.

Pour l’avoir entrevu, dès 1855, Anatole de Montaiglon a droit à quelques égards. Mais encore fallait-il trouver un rapport de sens, satisfaisant pour l’esprit, entre le nom de la plante et le nom du personnage, pour écarter l’hypothèse d’une coïncidence fortuite de son entre deux mots différents. Eugène Rolland, auteur d’une volumineuse Flore populaire, dont sept volumes ont paru de son vivant et quatre depuis, sans qu’elle soit parvenue à son terme, a pu croire, avant de mourir, qu’il avait dit le dernier mot en faveur de cette étymologie botanique, et cela dès son premier volume, paru en 1896. Après avoir cité le Roman de Renart, il poursuit en ces termes :

« À une certaine époque l’helleborum, corrompu en aliboron, était la panacée par excellence, préconisée par les charlatans. Par suite, on a pu appeler maître Aliboron un charlatan, un mauvais médecin, un ignorant, un âne, au figuré d’abord et finalement au propre » (41).

Mais qui ne voit que Rolland appartient encore à l’école des Huet et des Ménage ? Et comment ne pas se ranger à l’avis de Gaston Paris qui, dès 1890, écrivait (42) :

« Qu’en ancien français, aliboron, emprunté par les herbiers ambulants au latin elleborum, ait désigné l’ellébore, ce n’est pas douteux ; il n’est pas tout à fait aussi sûr que le maistre Aliboron qui de tout se mesle doive son surnom à la plante favorite des charlatans » ?

Messieurs, je me crois en mesure de vous persuader qu’il y a de l’ellébore dans le nom de maître Aliboron ; je dirai plus : qu’il n’y a que de l’ellébore, que maître Aliboron est proprement l’ellébore fait homme. Mais la filiation imaginée par Rolland, contestable au point de vue des lois de l’esprit humain, perd toute raison d’être en présence de la réalité historique telle qu’elle va nous apparaître. Il ne s’agit pas d’une évolution de sens, mais des conséquences d’un grossier contre-sens commis au IXe siècle. Un texte de cette époque lointaine, qui a échappé à tous nos étymologistes, ne laisse aucun doute sur ce point. II n’est pas inédit , mais c’est tout comme : enfoui depuis plus de cinquante ans dans les Notices et extraits des manuscrits publiés par notre Académie, il est resté improductif pour la science jusqu’à ce jour.

On sait combien l’histoire littéraire de la France a d’obligations à Barthélémy Hauréau, mort le 29 avril 1896, à la fondation Thiers, dont il a été le premier directeur. Personne chez nous n’a connu comme ce « Bénédictin laïque », auteur d’une célèbre Histoire de la philosophie scolastique, la littérature latine du moyen âge ; personne n’a fouillé les manuscrits avec plus de persévérance, pour en arracher, souvent par lambeaux, les œuvres qui forment la base de cette connaissance. Ce fut pour lui une grande joie que de trouver, un jour, dans le manuscrit latin 12960 de la Bibliothèque nationale, le texte, considéré comme perdu, du commentaire de Jean Scot Érigène sur Martianus Capella, et de pouvoir en publier quelques fragments, en 1862, dans le recueil des Notices et extraits.

Né et élevé en Irlande, où la culture des lettres était florissante, Jean Scot Erigène vint en France vers 845, et y trouva l’accueil le plus flatteur. La première Renaissance, provoquée par Charlemagne, avait de la peine à se soutenir dans notre pays, déchiré par les querelles politiques ; mais le nouveau roi des Francs, s’il n’était pas empereur, comme son aïeul, — il le devint sur le tard — était, comme lui, dévoué à la cause des écoles. Jean Scot Erigène, « cet homme vraiment extraordinaire », qui apportait des rives lointaines de l’Irlande un grand fonds de « connaissances et de superstitions alexandrines » — c’est ainsi que nous le présente Hauréau, — fut l’Alcuin de Charles le Chauve. Mais venons au fait, et voyons comment l’illustre Irlandais commente Martianus Capella.

On sait que cet auteur, né en Afrique dans la seconde moitié du Ve siècle, a laissé à la postérité une œuvre allégorique, en vers et en prose, qui a pesé lourdement sur la pédagogie du moyen âge ; aucun traducteur n’a osé la faire passer dans notre langue, malgré son titre alléchant : Les noces de Mercure et de la Philologie. C’est une encyclopédie qui ne vaut pas celle de Diderot, ou, du moins, qui ne s’inspire pas du même esprit. Le livre quatrième traite de la Dialectique, dame égyptienne que Parménide amena en Grèce, où elle se mit au service de Socrate, de Platon, etc. Après avoir consacré à Chrysippe le vers 16, Martianus Capella consacre le suivant, assez obscur de prime abord, à son rival Carnéade :

Carneadesque parem vim gerat (43) elleboro.

Pour bien entendre ce vers, il faut connaître une particularité du régime auquel se soumettait Carnéade en certaines occasions, particularité que nous a révélée Valère-Maxime. Quand il devait soutenir une lutte oratoire contre Chrysippe, Carnéade prenait une potion d’ellébore : cum Chrysippo disputaturus elleboro se ante purgabat (44). Le vers de Martianus Capella doit donc se traduire ainsi : « Et « Carnéade, aussi fort que Chrysippe grâce à l’ellébore. »

Jean Scot Erigène était, pour son temps, un très grand philosophe, il n’en faut pas douter ; mais il n’avait pas lu Valère-Maxime. Fâcheuse lacune, qui a eu les conséquences les plus imprévues. Notre Irlandais s’est persuadé et il a affirmé qu’Élléboron était un philosophe grec de la même secte que Carnéade (45) ! Cette erreur monstrueuse ne tarda pas à porter ses fruits. Dès la génération suivante, un autre commentateur de Martianus Capella, Rémi d’Ausserre, fondateur de la première école d’enseignement supérieur qui ait fleuri à Paris, emboîta résolument le pas, et, avec une imperturbable confiance, il écrivit :

« En dialectique, les philosophes qui obtinrent « le premier rang sont Aristote, Chrysippe, Carnéade et Elléboron » (46).

Avec de pareils patrons, Elléboron ne pouvait manquer d’obtenir ses lettres de maîtrise. Au XIVe siècle, nos trouvères parlent couramment de « maître Pitagoras (47) », de « maître Platon (48) », etc. (49). Comment s’étonner que dès lors, sinon plus tôt, l’un d’eux ait eu l’idée de conférer le même titre à ce nouveau venu et de faire servir son nom ronflant à donner plus de vogue au type déjà populaire de l’homme universel ou soi-disant tel ? Il est permis de supposer qu’il a existé une rédaction du monologue de maistre Aliboron antérieure d’au moins un siècle à celle qui nous est parvenue. Ainsi se compléta naturellement et se fixa l’état civil de celui que sa naissance même vouait d’avance au rôle qui lui a été attribué par un spirituel trouvère. N’étant rien, il pouvait être tout. Il fut « maistre Aliborum qui de tout se mesle et sçait faire tous mestiers, et de tout rien ».

En somme, il suffit de rapprocher l’aliboron signalé par Anatole de Montaiglon dans le Roman de Renart de l’Elléboron relevé par Barthélémy Hauréau dans Jean Scot Erigène, pour que l’étymologie s’impose aux plus sceptiques (50). L’étymologiste n’y met rien du sien ; il n’est qu’un agent de liaison : il ne crée pas, il raccorde. Dans les sciences historiques et philologiques, tout raccord est un record, je veux dire un souvenir et un enseignement. Comme il est regrettable que le grave historien de la philosophie scolastique n’ait pas été plus familier avec la littérature légère de nos malins ancêtres, et que le joyeux éditeur des Fabliaux et de tant de livres « de haulte gresse » n’ait pas fait des œuvres de Jean Scot Érigène son épée de chevet ! D’ailleurs très dissemblables par leurs goûts et par leur genre de vie, ces deux grands érudits que furent Barthélémy Hauréau et Anatole de Montaiglon se coudoyaient parfois, mais se connaissaient à peine : ils fouillaient, classaient, rédigeaient, publiaient, chacun dans sa chacunière. On s’imagine volontiers qu’en se bornant à regarder dans un puits on y trouvera la vérité. C’est bien à tort : il faut nous donner la main les uns aux autres et faire la chaîne pour ne pas la laisser échapper. Une meilleure organisation du labeur philologique aurait fait gagner un demi-siècle à la science. Il y a plus de cinquante ans, en effet, que l’étymologie de maître Aliboron aurait dû être trouvée et versée à la caisse des écoles.

Messieurs, dans ce qu’on appelle la vie des mots, qui est en réalité la vie des hommes, il y a des choses qui font frémir. Le dossier de l’affaire Aliboron est particulièrement scandaleux. Permettez-moi cependant de prononcer, avant de finir, quelques paroles de mansuétude en faveur du premier coupable et de son complice avéré.

Certes Jean Scot Érigène et Rémi d’Ausserre sont maintenant en mauvaise posture devant la postérité : le devoir strict d’un commentateur est de comprendre le texte qu’il prétend commenter, et ils ont gravement manqué à ce devoir. Pourtant ne les accablons pas de nos sarcasmes ; épargnons-leur les gémonies. Le flambeau de la science antique, rallumé par Charlemagne, est devenu entre leurs mains un lumignon fumeux. Sans doute ; mais n’est-ce pas quelque chose que de ne l’avoir pas laissé éteindre tout à fait ? La grandeur de la tâche peut ennoblir l’inexpérience de l’ouvrier quand celui-ci est de bonne foi : tout est préférable à la grève des bras croisés. Soyons donc indulgents, et même reconnaissants, à ces ouvriers de la première heure. Nous ne pouvons oublier, en effet, qu’ils travaillèrent avec ferveur, sinon toujours avec discernement, à nous rendre la civilisation des Grecs et des Romains, ce trésor inestimable que l’invasion des hordes germaniques avait soustrait à l’humanité, et dont, aujourd’hui, l’humanité, sauvée une seconde fois des barbares, acclame la puissance tutélaire et salue le prestige à jamais restauré.


Notes

(1) Fables, I, 13 ; texte conforme à celui de l’édition princeps (1668).

(2) Tome II, p. 12, col. 1, sous MAISTRE. Les deuxième et troisième éditions (1718-1740) écrivent Aliboron, avec une majuscule, comme la raison l’exige. On ne comprend pas pourquoi l’Académie est revenue à la minuscule en 1762 et s’y obstine encore en 1878. Furetière, mort en 1688, se tient à l’orthographe ancienne : maistre Aliborum, qui est aussi celle d’Antoine Oudin, Seconde partie des Recherches italiennes et françoises (Paris, 1642), p. 350.

(3) Le Diable de Papefiguière, conte imité de Rabelais, vers 61, 64, 67, 80, 91 et 137.

(4) Livre IV, chap. 45 ; « Il le semoit de touzelle. »

(5) Nom languedocien d’une variété de froment dont les épis n’ont pas de barbes. Le mot dérive du latin tonsus, tondu ; l’Académie l’a admis dans son Dictionnaire en 1762 et l’y a maintenu depuis.

(6) Livre III, ch. 20 : « Que diable veult pretendre ce maistre Aliborum ? »

(7) Aujourd’hui soutane, mot emprunté à l’italien sottana.

(8) Œuvres (Paris, 1656), 2e partie, p. 60.

(9) Les Mauvais instituteurs, conférence prononcée à Paris, le 6 mars 1907, à la grande réunion de la salle Wagram, par Maurice Barrès, de l’Académie française, député de Paris (Paris, aux bureaux de « La Patrie française »).

(10) La plupart ont été cités, en dernier lieu, par M. Lazare Sainéan dans la Revue des études Rabelaisiennes, t. IX (1911), p. 249 et suiv.

(11) Œuvres, édit. Réaume et de Caussade, t. II (1877), p. 331 :

« Sur ce point, nous depeschames ce maistre Aliborum du Fay, instrument trompeur et trompé, comme il a paru par son testament, auquel il a confessé avoir trahi le parti de Dieu. »

C’est par erreur que M. Sainéan déclare (Revue des études Rabelaisiennes, t. IX, p. 253), que « déjà d’Aubigné accompagne le nom de l’âme du sobriquet de maistre Aliborum ».

(12) Édition Lalanne, t. V, p. 148, Vie du maréchal de Biron :

« La royne mere, quand elle avoit quelque grand affaire sur les bras, l’envoyoit quérir… et avoit son grand recours eu luy. Luy mesme, en goguenardant, il disoit qu’il estoit un maistre Aliboron qu’on employoit à tout faire. »

(13) Du Fail applique l’expression à un apothicaire ignorant nommé maître Pierre, conte XXIV (D’un apothicaire d’Angers), éd. princ. (1585), p. 130 :

« L’un de nos compagnons appellé Gringalet, voulut un jour descourir plus au long l’impudence de ce galant, comme les bons esprits font perpétuelle guerre à l’ignorance, et à la gloire sa compagne : et passant… vis à vis sa boutique, ce maistre aliboron ne faillit incontinent… à tirasser Gringalet par la manche de son manteau. »

(14) Paris, 1583, fol. 110 v°, seconde journée, histoire troisième :

« Qu’il vienne de delà les monts quelque messer, ou bien de quelque autre contrée, qui se vante d’estre un maistre aliboran (sic) en tout, et guérir de toutes maladies, et plusieurs autres, comme nous parlons vulguerement, ne diriez vous pas, à voir l’estime en laquelle on le tient, que c’est quelque chose plus que naturelle ? »

(15) Acte III, sc.1, dans Les Comédies facétieuses, 2a édit. (Rouen 1601), p. 253-4 :

« Quand i’ay conté à ce maistre aliboron, qui est autant sorcier que moy, ce que ie voulois qu’il fist, il a commencé à faire du scrupuleux. »

(16) Réimprimée dans Édouard Fournier, Le Théâtre français avant la Renaissance (Paris, 1872), p. 317 :

Tenez, quel maistre Aliborum !
Comme il faict ce latin trembler !

(17) Antonius Arena prouincialis de bragardissima villa de Soleriis. Ad suos compagnones studiantes...(Lyon, 21 janv. 1538, anc.st.), fol. CVIIIJ r°:

Consulo te super hoc, qui rabbim crederis esse,
Mestrus aliborus omnia scire putans :
Hoc opus, hic labor est, istum cognoscere punctum
Quem declaravit Bartholus ipse male.

(18) Édition princeps (Paris, 1508), fol, Hiiija, livre II, chap. 44 :

SATHAN, s’adressant à Lucifer.

M’enten tu, maistre Aliborum ?
Opera enim illorum,
Dit saint jehan, secuntur illos

(Communication d’Émile PICOT).

(19) Satire Menippee, éd. Tricotel (Paris, 1877-1881), t. II, p. 19 :

« Le premier et plus apparent d’entre eux se nommoit en son village Aliboron, ioli Monsieur, ou maistre pour le moins, homme à tout faire et grand raillard. »

(20) Recueil de poésies françoises des XVe et XVIe siècles t, I, p. 33 et suiv. Les derniers mots du titre : « et de tout rien », que ne donne pas A. de Montaiglon, figurent dans une édition gothique décrite par Émile Picot (Romania, 1887, t. XVI, p. 500), dont nous suivons la leçon.

(21) On peut voir ce qu’en dit Émile Picot, Romania, 1887, t. XVI, p. 496-497.

(22) Original à la Bibliothèque Nationale, ms. français nouv. acq. 3643, pièce n° 942. Le scribe a représenté la dernière lettre d’Aliborum par une barre horizontale placée sur l’u, ce qui a entraîné Léopold Delisle à la fausse lecture Aliborun (La collection de Bastard d’Estang, n°942).

(23) Original aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône, B 2483, fol. 15. Le scribe a écrit Aliborum en abrégé ; induit en erreur par l’abréviation de la syllabe rum, M. l’abbé G. Arnaud d’Agnel a imprimé Aliboz dans son recueil intitulé : Les comptes du roi René (Paris, 1908), t. I, p, 194, art. 547.

(24) LE ROUX DE LINCY et FRANCISQUE MICHEL, Recueil de farces, moralités, etc. (Paris, 1837), t. III, 2e pièce, p. 16.

(25) En analysant la « moralité » que nous venons de citer, Petit de Julleville dit à tort que « le Temps est habillé en fou » (Répertoire du théâtre comique en France au moyen âge, p. 45).

(26) Vers 22930 de l’édition G. Paris et G. Raynaud (Paris, 1878). Les éditeurs ont imprimé : Aliboron, mais les variantes sont en faveur de la leçon Aliborum.

(27) ACHILLE JUBINAL, Mystères inédits du quinzième siècle (Paris, 1837), p. 287.

(28) Bibliothèque nationale, ms. Français 12476, fol. 107, cité par M. Arthur Piaget dans sa thèse sur Martin Le Franc (Lausanne, 1888), p. 241, note 1 (communication de Mlle Droz).

(29) Bibliothèque nationale, ms. français 1654, fol. 29 (communication de Mlle Droz).

(30) Une étude spéciale sur ce « sorcier » a été annoncée, en 1902, par M. Petit-Dutaillis (voir E. Lavisse, Histoire de France, t. IV, 2e partie, p. 185, note) ; on l’attend toujours.

(31) L’attention a été attirée, dès le XVIIIe siècle, sur cet important témoignage par Carpentier dans son supplément au Glossarium latin de Du Cange. Le texte intégral, publié par René de Maulde, se lit dans le livre que l’abbé Eugène Bossard a consacré à Giles de Rais (Paris, 1886), pièces justificatives, p. lxxxîx.

(32) Huet avait communiqué directement cette étymologie à Ménage au moment où celui-ci travaillait à une deuxième édition de ses Origines de la langue franoise, ouvrage publié en 1650, et où il n’y a pas d’article ALIBORUM ; cette édition, dont l’impression était très avancée quand Ménage mourut, parut en 1694, sous le titre de Dictionnaire étymologique. Le texte de Huet n’a été imprimé que plus tard, dans le recueil cité plus loin, note 34.

(33) Ménage, ouvr. cité, article Aliborum.

(34) Dissertations sur diferens sujets. composées par M. Huet,…, recueillies par M. l’abbé de Tilladet (La Haye, 1720, t. II, p. 111.

(35) Édition de Rabelais publiée à Amsterdam en 1741, t. 1, p. 433 :

« Ainsi Albert le Grand, qui a passé pour alchimiste et magicien, pourroit bien être le prototype de tout autant d’hommes extraordinaires qu’on a jusqu’à présent qualifiés de maîtres Aliborons, Albert, Alberon, Auberon, Oberon, Aliboron n’étant, selon moi, qu’un seul et même nom diversement corrompu. »

(36) Dictionnaire des hiéroglyphes, 1er volume (Bordeaux, 1839), préface. p. VI.

(37) Ouvrage cité, p. 1 et suiv.

(38) Édition Méon, v. 19309 ; édition Martin, t. I, p. 379, v. 1345. Plus exactement, comme on le voit par la suite du récit, édition Martin, v, 1645 : Aliboron (variante, t. 111, p. 366 : Aliborum) que il avoit, Qui si fort oignement estoit, il s’agit d’un onguent à base d’ellébore.

(39) Ne sachant pas bien l’allemand, Littré s’est mépris sur le terme altboran, forgé par Henschel : il traduit boran par « ennemi », tandis que, dans la pensée de Henschel, boran serait pour geboran « né », aujourd’hui en allemand geboren. L’expression authentique, par laquelle l’ancien-haut-allemand rend le latin antiquus hostis, est altfiantfiant signifie réellement « ennemi. »

(40) Intermédiaire, t. II, col. 739 ; t. III, col. 58 et col. 276-279. Devic a repris son idée dans son Dict. étymol. des mots français d’origine orientale, dont la seconde édition est incorporée dans le supplément de Littré.

(41) Flore populaire, t. I (1896), p, 77, note 4.

(42) Romania, t. XIX, p, 352.

(43) Gerat, subjonctif présent de gero, est gouverné par la conjonction licet, exprimée plus haut, au vers 12.

(44) VALÈRE-MAXIME, livre VIII, chap. VII, 5.

(45) Parem vim, id est sectam similem, id est : Carneades et ELLEBORON dividunt, Crisippus autem cumulat (Notices et extraits des manuscrits, t. XX. 2è partie, p. 12). Une première réduction, non publiée par Hauréau, nous est fournie par le même manuscrit, fol.74 r° : « Parem vim similem sectam ; Carneades et ELLEBORO dividebant, Crysyppus autem cumulabat. »

(46) HAURÉAU, mémoire cité. Voici le texte de Rémi d’Ausserre, tel qu’il se lit dans le manuscrit latin 8786 de la Bibliothèque nationale fol. 49 v° :

« Licet Carneades gerat parem vim (id est similem sectam) et ELLEBORON (silicet gerat parem vim illi, scilicet Crysippo) : hi duo philosophi logica specialiter usi sunt... Licet multi (id est philosophi) in diversis artibus floruerint, in nulla tamen arte tam (vel tantum) gloriati sunt, vel talem apicem consecuti qualem in dialectica, in qua principatum hi philosophi obtinuerunt : Aristoteles, Crysippus, Carneades et ELLEBORON. »

Dans le manuscrit latin 8674, fol. 39 v°, on lit en outre :

« Et quamvis Aristoteles floruerit in decem catégoriis inventis, et Crisippus in genere et specie, et Stoici in sophismatibus, Carneades et ELLEBORON in loicis (sic, pour logicis)... »

(47) Traduction de la Consolatio de Boèce, par Renaud de Louhans, manuscrit français 578 de la Bibliothèque nationale, fol, 578, fol. 7d ; de même dans une traduction postérieure, qui est souvent un plagiat de celle de Renaud de Louhans, manuscrit français 577, fol. 9a.

(48) Traduction du même ouvrage par un anonyme, dit l’Anonyme de Meun, manuscrit français 576, fol. 38b.

(49) Renaud de Louhans désigne le devin Tirésias sous le nom de « maistre Thiresie » (manuscrit cité, fol. 50e).

(50) La présence dans le Roman de Renart des formes concurrentes aliborum et aliboron, pour désigner un remède à base d’ellébore, suffit à attester que, dans le passage du latin savant à la langue vulgaire, les deux premières syllabes, elle, ont été altérées en ali.

Sans insister sur cette altération, je note que dans une traduction hébraïque de l’arabe, faite à Marseille au XIIIe siècle, le nom vulgaire de l’ellébore noir, transcrit en caractères hébraïques, se lit : alibourous nigra (Dr Lucien Leclerc, Histoire de la médecine arabe, t. I, Paris, 1876, p. 447). En ancien français, on trouve au XVe siècle alebore pour « ellébore » (Rolland, Flore pop., I, 87). Actuellement, nos patois méridionaux hésitent entre elebor, alibor, aliboro, liboro. De leur côté, nos patois de langue d’oïl ont des formes telles que aliborgne, liborne, liboura, etc. (ibid., I, 77-78).


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