On s'en fait pas à Lovenjoul

Extrait de L’Illustration :

En 1915, la grande armée de France est maintenant entraînée, endurcie et pénétrée d’une confiance qui lui permet d’opposer aux évènements comme aux douloureuses misères de son existence une sérénité inaltérable, faite de stoïque résolution et de bonne humeur. Son esprit de discipline et son sentiment du devoir se sont affirmées de telle sorte qu’un régime de permissions régulières a pu être instauré. « Long, dur, sûr » a dit Foch, prévoyant de bonne heure avec Kitchener, la durée implacable de l’immense conflit. L’armée a pris à ces mots leur esprit pour en faire sa devise consentante et tenace, sous une forme plus familière :

« Ne pas s’en faire ».

« On s’en fait pas à Lovenjoul » est le titre d’une pièce en un acte écrite par deux blessés et jouée pour la première fois le 4 aout 1915. L’argument de la pièce quasi inexistant n’a d’autre but que de solidariser tous les acteurs de l’ambulance à seule fin d’y maintenir le moral des troupes. Si les blessés y jouent un rôle prépondérant, ils servent aussi de prétexte à la mise en valeur de toutes les personnes qui participent au bon fonctionnement de l’Ambulance. C’est cet esprit de solidarité qui a nourri les enfants de la République au milieu de tant de malheurs.
Le nom des acteurs est mentionné pour les deux séances.

Tous les blessés assez valides pour se déplacer, ainsi qu’au fond une infirmière religieuse, un prêtre et Georges Vicaire appuyé sur sa canne assistent au spectacle sur la Pelouse, en bordure de la forêt. On note un nombre important de blessés à la tête.

Certains portent déjà l’uniforme bleu ciel, d’autres ont encore des pantalons garance. Cette revue en 1 acte écrite par Raymond Tailhades, du 416e d’infanterie, et Alphonse Grandperret, du 22e d’infanterie, fut 'représentée pour la première fois à l’Hôpital Lovenjoul le 4 août 1915'.

Elle fut jouée au moins deux fois, selon le livret ronéoté. La pièce se passe à Lovenjoul et comprend cinq personnages, dont le Blessé, joué par Tailhades, l’infirmière, jouée par Grandperret, le Compère, joué par Lyvolant, du 88e d’infanterie, puis à la seconde représentation par Belloc, du 416e d’infanterie, un prestidigitateur, joué par Billard du 22e territorial et enfin, un spectateur, joué par Marcel. Dans la 1re scène, le Blessé attend l’infirmière qui arrive enfin, puis entre un prestidigitateur qui échoue lamentablement, au point qu’un spectateur, joué par Marcel, doit monter sur scène pour le remplacer.

Entrecoupé d’airs populaires comme Le bon roi Dagobert ou Cadet Rousselle, et d’airs de l’époque, aujourd’hui oubliés, ce spectacle bon enfant donne mille détails sur la vie à l’hôpital Lovenjoul : 'pour mille petits soins spéciaux, pour mille autres choses”, il y a un infirmier, 'M. Marcel, un bien gentil jeune homme' ; on apprend qu’il travaille tout le temps, comme son père, qu’il est épatant, mais qu’il lui arrive de brûler sa boîte quand il stérilise sa ouate. Les dames de Chantilly viennent veiller les blessés la nuit, comme Mmes Pinson, Chocquart, Lebeau, Fossiez, Gouverneur, Pannetier, Kohler, Demony et Biette. De “très gracieuses demoiselles” font le service de la table. Chaque vendredi les dames de la ville viennent à l’ouvroir entretenir le linge. L’infirmière porte sur sa blouse les 3 lettres SBM, qui signifie non pas 'société des bains de mer' comme elle essaie de le faire croire, mais 'société de secours aux blessés militaires dont le Président et la Présidente sont pour Chantilly M. et Mme Vallon'. Le jeudi, 'la présidente offre d’exquis gâteaux'. La pièce évoque 'la rotondité de (l)a majestueuse bedaine' de GeorgesVicaire qui paraît sur scène et qu’on félicite pour ses menus, puis Jeanne Vicaire, sa femme, toujours à la recherche de ses lunettes avec l’aide de sa fille Elisabeth, suivie du fidèle Tout-Fou. Les blessés, au nombre de 22, arrivent à Lovenjoul par les trains sanitaires de Creil ; le chauffeur de l’ambulance est le gros Edmond, un colosse.