Les débuts de l’ambulance Lovenjoul

Dès le 10 août 1914, l’Institut de France organise le transfert des objets les plus précieux du musée Condé (les miniatures de Jean Fouquet, les Raphaël, une vingtaine des plus belles peintures, les 300 crayons de François Clouet, les plus précieux manuscrits à peintures, le cabinet des Gemmes, les miniatures, les émaux, etc.).

Les œuvres partent le 29 août au musée de Toulouse (archives de l’Institut, tome VI, juillet 1912-1919, p. 91) où elles resteront jusqu’à l’armistice.

Chantilly est relativement épargnée par rapport à Senlis  ; ni la ville ni le château n’ont à souffrir de dommages de guerre. Le 5 septembre, les Allemands qui occupaient la ville s’enfuient devant l’attaque de pompiers de Paris venus en automobiles. Le 9, deux cents zouaves venus aussi en automobiles traversent Chantilly, poussent jusqu’à Senlis, tuent des ennemis, et ramènent des prisonniers, dont un officier. Les Allemands surpris par l’attaque, se cachent dans le parc puis s’enfuient. Dans la nuit du 10 au 11 septembre, les troupes françaises, victorieuses à la bataille de la Marne, reviennent à Chantilly et défilent devant le château.

Le 8 septembre 1914, Georges Vicaire envoie un télégramme à son fils Marcel et à sa fille Elisabeth à Saint-Malo : « Chantilly intact, allons bien ».

L’Institut de France crée le 19 août 1914 :

« ...dans les bâtiments de la collection de Lovenjoul à Chantilly, un hôpital militaire de vingt lits et vote 1 000 francs pour l’installation de cet hôpital »

(Archives de l’Institut, 1914, p. 91)

Proche du maire de Chantilly, Omer Vallon, président de la Croix Rouge locale, et de son épouse, qui s’occupait des bonnes œuvres de la ville, Georges Vicaire ouvre dans la bibliothèque Lovenjoul une ambulance militaire rattachée à la Société de secours aux blessés militaires.

Les deux premiers blessés sont accueillis à l’ambulance Lovenjoul dès le 2 septembre 1914, jour de l’incendie de Senlis, comme nous l’apprend la correspondance de Georges Vicaire avec son fils Marcel, alors à Saint-Malo :

« Depuis le 2 septembre nous avons 2 blessés un hussard réserviste de Senlis et un fantassin ; tous deux sont en bonne voie de guérison. On nous annonce pour aujourd’hui d’autres blessés allemands et français. Les journées sont longues et tristes, mais nous allons être plus occupés et le temps passera plus vite. Chantilly est à peu près désert, mais les bonnes gens des environs qui avaient fui rentrent petit à petit. Ecrivez-nous à l’adresse de M. Vallon, administrateur de la Compagnie du Nord […] M. Vallon a été admirable; c’est grâce à son énergie, son calme et son sang-froid que nous devons d’avoir été épargnés ou du moins la ville. Les Allemands se sont bien comportés. »

Le 14 septembre :

« Le château de M. Texier (le Castel, au Coq Chantant) a été, m’a-t-on dit, pillé ; on a brisé, cassé, et coupé, tailladé les vêtements. Les Allemands auraient pris aussi les voitures. Les maisons habitées n’ont pas été endommagées. […] C’est bien grâce à l’énergie et au calme de M. Vallon que la ville de Chantilly doit d’avoir été indemne. Mais du matin jusqu’à midi, il a été emmené comme otage et Mme V. a passé quelques heures bien douloureuses. Cela se comprend aisément. Ta mère t’a-t-elle écrit qu’elle avait donné ta bicyclette à un lieutenant de chasseur à pied qui en avait besoin de deux pour ses hommes ? »

Cependant, encore inquiet de la sécurité dans la région, il écrit le 16 septembre à Marcel :

« Ne viens pas ».

De son côté, Marcel Vicaire s’inscrit pour participer bénévolement comme infirmier à l’ambulance militaire de Saint-Malo ; son père le félicite le 14 septembre 1914 :

« Tu as bien fait de t’inscrire pour aider à l’hôpital de St Malo, je suis persuadé que tu pourras rendre de grands services ».

On peut s’étonner de ces infirmiers sans formation médicale, munis seulement de leur bonne volonté, mais en 1914 la professionnalisation des infirmiers n’est pas encore achevée ; les premières écoles d’infirmières sont ouvertes seulement dans les années 1880, et selon la coutume du XIXe siècle encore en usage, on appelle « infirmiers » tout le personnel qui travaille à l’hôpital, quel que soit son métier.

Le 11 septembre 1914, rapporte Élie Berger, conservateur du domaine de Chantilly et membre de l’Institut :

« On nous informa qu’une grande ambulance allemande, où étaient soignés un certain nombre de nos soldats, se trouvait dans d’assez mauvaises conditions à Montépilloy, à 9 kms au-delà de Senlis. Le docteur Chaumel, médecin de l’hospice Condé, s’y rendit avec nous, et à la suite de cette visite une douzaine de blessés et de malades français et allemands furent amenés à l’hospice Condé et à l’ambulance de l’Institut, que dirige M. Vicaire. Les médecins allemands auraient voulu que leur ambulance entière, avec un nombreux personnel et un matériel important, fût transportée à Chantilly, mais après diverses courses faites par nous à Senlis, à Montépilloy et à Creil, et à la suite de démarches faites auprès de l’autorité militaire, que nous devions consulter à ce sujet, l’ambulance fut évacuée par ordre supérieur, dans une autre direction. Les blessés et les malades que nous avions amenés à Chantilly restèrent dans nos hôpitaux jusqu’à leur convalescence ».

Le 7 octobre 1914 :

« M. Élie Berger donne quelques détails sur le fonctionnement de l’ambulance établie dans le local de la collection Lovenjoul à Chantilly et sur les blessés qui s’y trouvent. Ils sont en bonne voie de guérison (ibid. p. 94). Le 14 septembre Georges Vicaire écrivait à son fils : “Tous nos blessés sont très bien et vont aussi bien que possible. C’est étonnant de voir combien ces plaies se régénèrent vite !” Le 21 septembre il écrit : “Nous avons ici 3 blessés français et 3 allemands malades, les uns et les autres peu gravement atteints. Nos médecins ? : le Dr Chaumel. Nos infirmières : Mme Kneubuler, Teiss, et Marie-Thérèse [Bidart, une cousine]… et ta mère. Un de nos blessés a reçu un éclat d’obus dans la joue, un autre a eu la main labourée par une balle de revolver de shrapnell, le troisième un petit éclat d’obus au mollet. Les Allemands avaient mal à l’estomac ; ils nous ont été amenés par un major allemand... On se bat ferme pas bien loin de nous. Hier on entendait le canon mais pas autant qu’à la bataille de Meaux où çà pétait sans discontinuer. Ceci en était d’autant plus angoissant que, sans nouvelles, nous ne savions si c’était bon signe de l’entendre éloigné ou rapproché. (…) J’espère bien que nous ne reverrons plus les prusco…. Bullant a repris ses fonctions de potard en chef ».

Le médecin de l’ambulance Lovenjoul, le docteur Chaumel, est aussi le médecin de l’hospice Condé ; il y a au début quatre infirmières, dont l’épouse de Georges Vicaire, bien qu’elle n’ait reçu aucune formation médicale. Ses enfants Marcel et Elisabeth n’hésiteront pas à faire de même et rendront les plus grands services. Les autres hôpitaux militaires sont alors l’hospice Condé et l’hôpital des Jockeys ; la baronne de Rothschild en avait créé un autre à Gouvieux, ville limitrophe de Chantilly.

À la bibliothèque Lovenjoul, les lits sont installés dans la salle de lecture et dans le salon des Vicaire. Les blessés déjeunent et dînent l’hiver dans la chambre d’hôpital, l’été dans le jardin où l’on installe une longue tablée à l’ombre des tilleuls.