Discours d'ouverture

de Léon Bonnat

Président de l'Institut de France

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Messieurs,

Il y a dix mois, en janvier, après avoir remercié mes confrères de l’honneur qu’ils m’avaient fait en m’appelant pour la troisième fois à la Présidence de l’Académie des Beaux-Arts, je disais ce qui suit :

« Cette année vous m’imposez, outre la Présidence de notre Académie, celle des cinq classes de l’Institut. Dans les circonstances tragiques que nous traversons, alors qu’il s’agit pour nous d’une question de vie ou de mort, la mission que vous me confiez est bien angoissante. Toutefois une force intérieure, une conviction inébranlable me soutiendront, car j’aperçois à l’horizon, grâce à nos soldats héroïques, la victoire qui vole vers nous, j’aperçois la libération de notre territoire et les grandes destinées de notre chère France rendue à elle-même.

Ce sera l’honneur de ma vie d’avoir assisté, avec vous, à ces événements glorieux, ce sera ma fierté d’avoir à les proclamer au nom de l’Institut de France. »

Ces vœux si ardents que je faisais alors ne se sont pas encore réalisés, et malgré les succès éclatants que nos troupes triomphantes viennent de remporter, la mort inexorable continuera à faucher les plus braves de nos enfants, mais notre confiance dans la victoire finale est plus grande que jamais et j’envie mon successeur qui aura la joie incomparable de l’acclamer. C’est lui qui exaltera nos triomphes. C’est lui qui rappellera l’enthousiasme extraordinaire de notre jeunesse qui garde le sourire en allant à la mort, de ces enfants, qui en criant la liberté, arrosent de leur sang généreux le sol de la patrie, et, dignes de nos plus grands aïeux, se font tuer pour expulser les barbares qui la souillent de leur contact empoisonné. Ils savent que leur sacrifice est nécessaire et que la France, grâce à leur indomptable résistance, renaîtra plus grande et plus glorieuse que jamais.

Et que dire de leurs mères, de leurs épouses, de leurs fiancées, qui à l’exemple des femmes de Sparte et de Rome, supportent, avec une résignation sublime, les coups les plus cruels du destin, la perte de ce qu’elles ont de plus cher au monde, et qui, faisant taire leur propre douleur, se dévouent, avec une charité inlassable, à soulager nos soldats. — Soyez bénies, femmes de France. — C’est le sang de vos veines qui a su infuser dans celui de vos fils leur chevaleresque courage. Votre part sera grande le jour de la victoire !

Soyez bénies femmes de France, ce sont vos fils qui le cœur plein de haine refoulent les barbares assoiffés d’orgueil vers leur Dieu protecteur qui n’est pas le nôtre, vers ce Dieu impitoyable et cruel, formé à leur image, et qu’ils évoqueront en vain. Notre main vengeresse s’appesantira sur eux. Ils veulent tuer nos âmes et nous imposer leur culture, cette exécrable culture dont ils sont si fiers, et dont l’idéal aboutit à l’assassinat, au meurtre, à l’incendie, à tous ces crimes qui font frémir l’humanité. — Nous n’en voulons pas de votre culture digne d’esclaves, Allemands ; — nous resterons fidèles à notre Dieu de bonté, de charité, de justice.

Des visions terrifiantes du front, des horribles combats qui dévorent tant de rêves d’avenir, de si belles espérances, rendons hommage, revenant à nos traditions empreintes de sérénité, à ceux de nos confrères qui, la tâche accomplie, ont disparu, pour toujours. — Glorifions-les, ne les plaignons pas. — Ils ont eu les joies passionnantes de l’œuvre, qui a été le but de la vie qu’ils ont pu mener, avec honneur, jusqu’à la fin de leur existence.

[...]

(NB. : suit une évocation non reproduite ici des membres de l'Institut de France décédés depuis la dernière séance solennelle de rentrée.)



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